JunoCam vignetteL’équipe internationale de chercheurs en charge de la mission Juno de la NASA, dont fait partie Tristan Guillot, directeur de recherche CNRS au Laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d’Azur, Université Côte d’Azur, CNRS) et co-investigateur de la mission, vient de révéler pour la première fois une vue 3D de l’atmosphère de Jupiter.

Grâce à ces nouveaux résultats de la mission Juno il est enfin possible de déceler le comportement de l’atmosphère de Jupiter et de voir et comprendre ce qui se passe sous les bandes nuageuses colorées bien connues de cette planète. Les nouvelles données nous montrent des cyclones et des anticyclones qui pénètrent à des profondeurs variables sous la couche visible. La grande tâche rouge de Jupiter apparaît la plus profonde de ces tourbillons. L’analyse des zones et des bandes de la planète permet de mettre en évidence un mécanisme également à l’œuvre dans l’atmosphère de la Terre. Ces résultats sont publiés aujourd’hui dans quatre articles : deux dans le journal Science, dans Geophysical Research Letters et dans Journal of Geophysical Research : Planets.

Lancée en 2011, la sonde Juno est entrée en orbite de Jupiter en 2016. Chaque passage de la planète (37 jusqu’à présent) permet de sonder les profondeurs de la planète grâce à une série d’instruments spécialisés. La mission a été étendue par la NASA jusque 2025.

La grande tâche rouge, les cyclones et anticyclones de Jupiter

Les six antennes du radiomètre micro-ondes (MWR) de Juno permettent de mesurer l’émission de la planète provenant de son atmosphère profonde, jusqu’à plus de 200 km sous les nuages visibles. L’étude publiée aujourd’hui par S.J. Bolton et collaborateurs révèle pour la première fois la structure des tourbillons qui parsèment Jupiter : Les cyclones sont plus chauds/moins denses en hauteur par rapport au gaz environnant et plus froids et denses en profondeur. Inversement, les anticyclones sont froids/denses en hauteur et chauds/peu denses en profondeur. Leur profondeur est variable, certains s’étendant « seulement » sur moins de 100 km, d’autres pénétrant beaucoup plus profondément.

C’est le cas de l’anticyclone le plus célèbre de la planète, la grande tache rouge, qui a une signature très forte sur toutes les antennes de l’instrument MWR. Ceci indique qu’elle modifie la température et la composition de l’atmosphère très significativement et à tous les niveaux sondés par l’instrument MWR. Cette modification locale induit un changement très subtil du champ de gravité de la planète. En utilisant deux passages de Juno au-dessus de la grande tâche rouge, M. Parisi et collaborateurs sont parvenus à détecter les modifications de trajectoire qu’elle entraîne sur la sonde, qui correspondent à une modification de sa vitesse de seulement 0.01 millimètres par seconde (cent fois inférieure à la vitesse d’un escargot)! Ceci a permis de contraindre la profondeur de cette grande tache rouge: environ 300 km, ce qui est en accord avec les mesures des antennes micro-ondes de Juno.

Adaptation d'une image observée par la caméra JunoCam. La grande tache rouge de Jupiter est extraite de l’atmosphere de la planète pour illustrer sa profondeur, entre 200 et 500km, mesurée pour la première fois par la sonde NASA Juno.
Crédits : NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS/Kevin M. Gill.

Les ceintures et zones de Jupiter

De couleurs différentes, les bandes (ceintures et zones) de Jupiter sont séparées par des vents est-ouest intenses qui se déplacent dans des directions opposées. Les mesures de gravité de Juno et les modèles d’intérieur de Jupiter avaient déjà permis de montrer que ces vents pénètrent jusqu’à 3000 km de profondeur (Kaspi et al., Guillot et al., Nature 2018). Les mesures MWR des passages successifs de Juno près de la planète ont permis à K. Duer et collaborateurs d’examiner leur dynamique et de mettre en évidence une circulation atmosphérique qui s’apparente à celle des « cellules de Ferre » qui contrôlent une grande partie du climat de la Terre. Ces cellules consistent en une circulation verticale dans les ceintures et les zones de Jupiter. Mais tandis que sur Terre une seule cellule de Ferrel est présente dans chaque hémisphère, Jupiter, en raison de sa rotation rapide, en contient huit par hémisphère. Chacune modifie la composition de l’atmosphere localement, ce qui pourrait expliquer les couleurs des bandes de Jupiter et aider à comprendre le lien entre l’atmosphère visible et l’intérieur planétaire.

D’autre part, L.N. Fletcher et collaborateurs. Montrent que cette circulation nécessite une transition entre la couche nuageuse visible et les niveaux plus profonds. Cette zone de transition est appelée « Jovicline » par analogie avec la thermocline des océans terrestres qui divise les eaux superficielles des eaux plus profondes .

Un laboratoire pour comprendre les atmosphères sans fond

Les résultats ainsi obtenus sur Jupiter sont cruciaux pour comprendre la dynamique atmosphérique des planètes géantes. Comme ces planètes n’ont, contrairement à la Terre, pas de surface, leur circulation atmosphérique présente des différences significatives qu’il s’agit encore de comprendre. Ceci est indispensable pour analyser les mesures faites sur les exoplanètes qui ne peuvent pas être vues avec autant de précision que les planètes de notre système solaire.

Cette recherche a été possible grâce au soutien du CNRS, du CNES, et de l’Observatoire de la Côte d’Azur.

La mission Juno est pilotée par la NASA et dirigée par Scott Bolton (Southwest Research Institute à San Antonio, USA). Tristan Guillot est directeur de recherche au CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur et co-Investigateur de la mission Juno.

Références

Les articles du 28 octobre 2021 sont :

S. J. Bolton, S. Levin, T. Guillot, C. Li, Y. Kaspi, G. Orton, M. H. Wong, F. Oyafuso, M. S. Allison, J. Arballo, S. Atreya, H. N. Becker, J. Bloxham, S. Brown, L. N. Fletcher, E. Galanti, S. Gulkis, M. Janssen, A. Ingersoll, J. L. Lunine, S. Misra, P. Steffes, D. Stevenson, J. H. Waite, R. K. Yadav, Z. Zhang. Microwave observations reveal the deep extent and structure of Jupiter’s atmospheric vortices. Science, in press.

Marzia Parisi, Yohai Kaspi, Eli Galanti, Daniele Durante, Scott J. Bolton, Steven M. Levin, Dustin R. Buccino, Leigh N. Fletcher, William M. Folkner, Tristan Guillot, Ravit Helled, Luciano Iess, Cheng Li, Kamal Oudrhiri, Michael H. Wong. The depth of Jupiter’s Great Red Spot constrained by the Juno gravity overflights. Science, in press

Keren Duer, Nimrod Gavriel, Eli Galanti, Yohai Kaspi, Leigh N. Fletcher, Tristan Guillot, Scott J. Bolton, Steven M. Levin, Sushil K. Atreya, Davide Grassi, Andrew P. Ingersoll, Cheng Li, Liming Li9, Jonathan I. Lunine, Glenn S. Orton, Fabiano A. Oyafuso, J. Hunter Waite. Evidence for multiple Ferrel-like cells on Jupiter. Geophysical Research Letters, in press.

L.N. Fletcher, F.A. Oyafuso, M. Allison, A. Ingersoll, L. Li, Y. Kaspi, E. Galanti, M.H. Wong, G.S. Orton, K. Duer, Z. Zhang, C. Li, T. Guillot, S.M. Levin, S. Bolton. Jupiter’s Temperate Belt/Zone Contrasts Revealed at Depth by Juno Microwave Observations. Journal of Geophysical Research : Planets, in press.

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Tristan Guillot - Observatoire de la Côte d’Azur, boulevard de l'observatoire, 06300 Nice
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